La stabilité du droit contractuel civil et commercial sénégalais une analyse à la lumière du droit Français

JurisdictionSouth Africa
Citation(2017) 4(2) Journal of Comparative Law in Africa 130
Pages130-173
Date16 August 2019
AuthorPatrice S.A. Badji
Published date16 August 2019
130
LA STABILITÉ DU DROIT CONTRACTUEL
CIVIL ET COMMERCIAL SÉNÉGALAIS UNE
ANALYSE À LA LUMIÈRE DU DROIT FRANÇAIS.
Patrice S.A. BADJI
Agrégé des Facultés de droit, UCAD
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne
voient la nécessité que dans la crise ». Jean Monnet,Mémoires(1976, 1re éd.,
Fayard, rééd., 1996)
Le droit contractuel civil et commercial du Sénégal est d’apparence
stable. En effet, fortement inspiré du Code civil français de 1804, il subit
néanmoins les coups de boutoir du droit que l’on peut qualifier de spécial
ou d’uniforme. C’est l’exemple respectivement du droit économique et
du droit OHADA. Cette situation pousse à réfléchir sur l’érection de
nouvelles règles mieux adaptées à la réalité sociologique du Sénégal.
C’est dire que dans le futur Code des obligations civiles et commerciales,
le législateur devra faire preuve de pédagogie et veiller à instaurer une
sécurité juridique.
INTRODUCTION
1. Dans toute œuvre législative, la matière des obligations constitue une
partie essentiellement théorique et abstraite… elle tend à se présenter
dans les législations modernes comme l’expression idéale de la logique
juridique1. C’est peut-être la raison pour laquelle le contrat est à la mode2.
Cette assertion, depuis la loi Maine selon laquelle on est passé du statut au
contrat et beaucoup plus vraie aujourd’hui car des citadelles considérées
1 SALEILLES cité par G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, L.G.D.J, 1949,
P. 4
2 A. DEMICHEL, cité par Pape D. SY, La technique des contrats-plan au Sénégal, Contribution à
l’étude de la contractualisation des relations entre l’Etat et les entreprises du secteur parapublic, Thèse, UCAD,
1989, P.72.
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LA STABILITÉ DU DROIT CONTRACTUEL CIVIL ET COMMERCIAL
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comme imprenables à une certaine période sont tombées aux mains du
contrat. C’est le cas de l’arbitrage3, du droit des sociétés4, droit processuel5.
On remarque même que l’État perd par moment ses prérogatives par la
conclusion de contrats dits de souveraineté avec des particuliers6 .
En effet, ce dernier a toujours passé des contrats avec des particuliers qui
sont soit des étrangers, soit des nationaux. Pour les premiers, la technique
de la concession a pu être utilisée. Il peut s’agir de concession de travaux
publics ou de service public7. Notons que dans les États modernes en
effet, le contrat devient de plus en plus l’instrument des relations entre
l’Etat et les personnes privées en matière économique8.
Mais on ne peut nier que le contrat est également en crise9 ou en
connait une nouvelle10, malgré quelques réticences11. Comme le dit
3 Le recours à l’arbitrage est encouragé par le lég islateur de l’OHADA notamment à l’article
1e du Traité de l’OHADA et l’article 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage précise
que toute personne physique ou morale, peut recour ir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre
disposition. Sont expressément visés les Etats, les collectivités publiques territor iales ainsi que les
établissements publics. Il ne faudrait pas perdre de vue qu’en France, le Conseil d’Etat, contrairement
à la Cour de cassation, était hostile à l’arbitrage dans lequel les intérêts de l’Etat sont en cause. On
se souvient de l’affaire Société Walt Disney Productions de 1986 où il a fallu adopter une loi de
circonstance.
Une question non moins importante consiste à voir si le recours à l’arbitrage équivaut à une
perte de l’immunité d’exécution.
4 Cela se manifeste à travers la consécration des pactes d’actionnaires. Les pactes d’actionnaires
sont des conventions conclues entre actionnaires, figurant dans les statuts (les pactes statutaires), soit
hors des statuts (pactes extrastatutaires conclus par un groupe d’actionnaires (D. LEGEAIS, Droit
commercial et des affaires, 20e édition, 2012, P.199, n°419).
5 On assiste aujourd’hui à une contractualisation du procès civil par exemple avec la réforme
matérialisée par le Décret n°2013-1071 du 6 août 2013 modifiant le décret n°64-572 du 30 juillet
1964 portant Code de Procédure civile, modifié (J.O. N° 6753 du Samedi 12 octobre 2013) dont le
projet de décret sur la conciliation et la médiation dénonce les insuffisances. V. En droit français, S.
GUINCHARD, Le changement en procédure civile, in le changement du droit, Revue de droit d’Assas,
numéro 10 février 2015, numéro spécial, P.132 et s.
6 V. Sur la question des contrats de souveraineté L. BOY, Les contrats économiques de souveraineté,
outils de la régulation de la concurrence (les pratiques des autorités de concurrence, à partir de l’exemple de
la France), R.I.D.E, 2010, pp.271-296. Selon l’auteur, les contrats de souveraineté sont ceux dans
lesquels l’Etat accepte, plus ou moins librement lui aussi de renoncer à sa force souveraine formelle
et de négocier sur un pied de relative égalité avec des partenaires privés.
7 V. M. SOURANG, La tec hnique contractuelle dans les rapports Etats-entreprises étrangères, Contribution
à l’étude des conventions d’établissement conclues par les Etats africains, Thèse Bordeaux I, 1980, P.3
8 M. SOURANG, op.cit., P.21.
9 V. H. BATIFFOL, « La crise du contrat» et sa portée, in Sur les notions du contrat, APD, t.
XIII, Sirey, 1968, p. 13 et s. ; M.VASSEUR, « Un nouvel essor du concept contractuel. Les aspects
juridiques de l›économie concertée et contractuelle »,RTD civ.1964, p. 5 et s.
10 V. La nouvelle crise du contrat, Actes du colloque organisé par le centre René-Demogue de
l’Université de Lille II, sous la direction de Chr istophe Jamin et de Denis Mazeaud, Dalloz, 2003.
Cette crise dont il est question est celle de la théorie socialiste du contrat.
11 V. M. MEKKI, Les doctrines sur l’efficacité du contrat en période de crise, Revue des contrats,
01 janvier 2010 n° 1, P. 383, pour qui, il ne s’agit pas d’une crise du contrat, mais de son
environnement.,
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le professeur G. TIMSIT, on ne parle de crise que par référence à un
modèle classique et dans la mesure où il se trouverait remis en cause par
des manifestations nouvelles qui ne s’inscriraient pas dans la logique du
modèle12
Au Sénégal, le législateur n’a pas jugé nécessaire d’opérer une distinction
entre les obligations civiles et commerciales. Une seule législation leur est
donc applicable13. Dès l’état de projet, le Code des obligations civiles
et commerciales a été commenté14. Comment peut-il en être autrement
lorsque le texte définitif a été élaboré ? En effet, si dès les premières
années d’adoption du texte définitif portant sur le Code des obligations
civiles et commerciales, il était prématuré d’avoir un jugement définitif
sur la pertinence de la matière contractuelle au Sénégal, tel n’est plus le
cas aujourd’hui après cinquante ans de vie du Code15.
Le Code des obligations civiles et commerciales (COCC) s’inspire
largement du Code civil, considéré par DEMOLOMBE comme étant
«la constitution de la société civile française16». Seulement, on ne va pas
céder à l’argument facile selon lequel le COCC serait une pâle copie
du droit français. En effet, par moment, le droit sénégalais devient le
modèle car si dans le Code civil français on ne trouvait pas de discipline
aboutie de la phase précontractuelle17, le processus de formation n’étant
pas réglementé18, tel n’est pas le cas en droit sénégalais. Déjà dans la partie
générale du COCC, on y traite de la promesse de contrat19, le régime
juridique de cet avant-contrat étant complété dans la partie spéciale du
COCC. En outre, le pacte de préférence a pour siège l’article 319 COCC.
12 G. TIMSIT, La régulation, la notion et le phénomène, Revue française d’administration publique,
2004/1, n°109, P.6.
13 Sur la distinction droit civil et droit commercial, V. J.-P. MARTY, La distinction du droit civil et
du droit commercial dans la législation contemporaine, RTDcom, 1981, P.681.
14 R. DECOTTIGNIES, «Réflexions sur le projet de Code sénégalais des obligations», Annales
africaines, 1962, n°1, P.171. Pour le professeur:«s’il est prématuré de faire le commentaire d’un texte qui
n’a pas encore force de loi, il n’est pas inutile de présenter quelques réflexions que suscite la lecture du projet,
l’accélération de l’histoire ne permettant plus aux juristes de se limiter à l’étude des textes promulgués».
15 V. P. BOUREL, La formation du contrat en droit sénégalais, Réflexions sur la moder nité du code
des obligations civiles et commerciales, Revue sénégalaise de droit, 1969, n°6, P.34, selon qui,« en
l’absence d’une jurisprudence suffisamment abondante et bien assise, le commentaire des articles des
nouveaux Codes constitue pour le juriste africain une des tâches les plus urgentes et les plus utiles».
L’auteur est conscient que tout jugement en la matière s’avère prématuré. Seulement, c’est l’occasion
d’étudier les règles mises en place par le législateur sénégalais, eu égard aux textes d’inspiration
voisine, les lacunes, apports et mérites de l’œuvre, etc…
16 DEMOLOMBE cité par P. REMY-CORLAY, L’avenir du code civil… européen, Revue
Lamy droit des affaires, Octobre 2004, n°75.
17 Parce qu’avec la loi du 3 janvier 1967 (Article L. 261-15 CCH), le seul avant-contrat
réglementé par la loi c’est le contrat préliminaire, V. J. SCHMIDT-SZALEWSKI, La force obligatoire à
l’épreuve des avant-contrats, RTDCIV, 2000, P.28, note de bas de page 23.
18 M. GRAZIADEI, Le contrat au tournant de la réforme: le choix du juriste français et le précédent
italien, Revue des contrats, 01 Septembre 2015, n°3, P.720.
19 Article 83 COCC qui traite plutôt de la promesse unilatérale.
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