Le Pacte Commissoire et la Protection de L’interet du Creancier en Droit OHADA

JurisdictionSouth Africa
Citation(2015) 2(1) Journal of Comparative Law in Africa 39
AuthorSamson Igor Bidossessi Guedegbe
Published date24 May 2019
Pages39-73
Date24 May 2019
LE PACTE COMMISSOIRE ET LA PROTECTION
DE L’INTERET DU CREANCIER EN DROIT
OHADA
SAMSON IGOR BIDOSSESSI GUEDEGBE
Docteur en Droit privé, Assistant à la Faculté de Droitet de Sciences Politiques
Université d’Abomey-Calavi, Bénin
Des voix s’élèvent pour applaudir la récente consécration par le législateur OHADA du
pacte commissoire. Il est présenté comme un mécanisme de recouvrement, qui permet
d’obtenir plus rapidement et à moindre coût le remboursement de la créance garantie.
Pourtant, on est bien loin de cette situation. Raisonnablement, le créancier bénéf‌iciaire
d’un pacte commissoire ne dispose entre ses mains que d’une arme d’une relativeef f‌icience
doublée d’une eff‌icacité incertaine.
[Many voices have welcomed the recent recognition by the OHADA legislator of the
agreement of forfeiture. The agreementis presented as a recovery mechanism, which offers
the opportunity to obtain the repayment of secured debt quicker and cheaper. Yet the real
situation is far from this objective. This article explains how, in practice, the creditor
benef‌iciary of the agreement of forfeiture only has in his hands a weapon of relative
eff‌iciency, accompanied by uncertain effectiveness.]
Keywords: creditor benef‌iciary, forfeiture, OHADA, secure debt
Abbreviations: OHADA Organisation pour l’harmonisation en Afrique du
droit des affaires
Introduction
Les auteurs sont nombreux à dénoncer la lenteur, le coût et le résultat parfois
aléatoire des procédures de réalisation par vente forcée des sûretés garantis-
sant les prêts consentis.
1
Le remède serait-il dans l’attribution convention-
nelle du bien ou pacte commissoire?
Les prêteurs cesseraient vite d’octroyer le crédit s’ils n’avaient pas la
certitude d’obtenir plus aisément le paiement de leur créance.
2
A défaut de
paiement spontané, la réalisation des sûretés en considération desquelles ils
ont accepté d’accorder le crédit doit pouvoir leur permettre d’obtenir
rapidement et à moindre coût le paiement de la créance garantie.
1
CROCQ, P (2010) «Les grandes orientations du projet de réforme de l’Acte
uniforme portant organisation des sûretés» Droit et patrimoine n° 197 52 et s.; Black,
LY(2010) «L’enjeu économique de la réforme de l’Acte uniforme OHADA portant
organisation des sûretés: un atout pour faciliter l’accès au crédit» Droit et patrimoine
n° 19746 et s.; MARCEAU-COTTE, A ET LAISNEY, L-J (2010) «Vers un nou-
veau droit du gage OHADA» Droit et patrimoine n° 197 66 et s; BRIZOUA-BI, M
(2010) «L’attractivité du nouveau droit OHADA des hypothèques», Droit et patri-
moine n° 197 86 et s. CROCQ, P (dir.) 2012 Le nouvel acte uniforme portant organisa-
tion des sûretés, la réforme du droitdes sûretés de l’OHADA Lamy, Paris 24.
2
SABA (de) (A. A.), La protection du créancier dans la procédure simplif‌iée de recouvre-
ment des créances civiles et commerciales, Droit de l’OHADA et pratiques européennes, 2ème
éd., Global Finances Sécurities, Paris, 2011, p. 9
39
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© Juta and Company (Pty) Ltd
De plus en plus, on note un engouement certain autour de l’attribution
conventionnelle censée faciliter la réalisation des sûretés
3
dans l’intérêt du
créancier.
4
Elle vient d’être introduite en droit OHADA
5
au moyen du
nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés.
6
L’article 104 prévoit
que «les parties peuvent convenir que la propriété du bien gagé sera attribuée
au créancier gagiste en cas de défaut de paiement».
7
Pareillement, il est prévu
à l’article 199 qu’ «il peut être convenu dans la convention d’hypothèque que
le créancier deviendra propriétaire de l’immeuble hypothéqué». La désillu-
3
Sauf spécif‌ication contraire, le mot «sûreté» sera utilisé exclusivement pour faire
référence aux sûretés réelles.
4
CROCQ (P.),Propriété et garantie, LGDJ, Paris, 1995, p. 222: «Que le créancier
puisse devenir propriétaire du bien objet de la garantie n’est pas en soi critiquable. Il
peut même en résulter des avantages puisqu’on évite, ainsi, les formalités de réalisa-
tion du bien, que la sûreté devient, dès lors, plus eff‌icace pour le créancier».
5
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. Elle
regroupe à ce jour dix-sept Etats qui sont les suivants: Bénin, Burkina Faso, Camer-
oun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée
Équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République démocratique du
Congo, Sénégal, Tchad,Togo. Signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Iles Maurice),
le traité l’instituant est entré en vigueur le 18 septembre 1995. Il a été révisé à Québec
le 17 octobre 2008 et est entré en vigueur le 21 mars 2010.
6
Ci-après l’«AUS». La pratique de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant
organisation des sûretés ayant révélé d’importants écueils prévisibles (V. GOMEZ
(J.-R.), «Analyse critique de l’avant-projet d’acte uniforme portant organisation des
sûretés dans les Etats membres de l’OHADA», Rec. Penant 1997, 825, pp. 245-286),
les Etats membres ont mis en place un groupe d’experts pour élaborer un projet de
réforme en vue de la création d’un environnement juridique sécurisé qui stimule
l’investissement et rend attractif le marché de l’espace OHADA (CROCQ (P.), «Les
grandes orientations du projet de réforme de l’Acte uniforme portant organisation
des sûretés», Droit et patrimoine, n° 197, p. 52, Ohada.com/Ohadata D-10-62). Au
terme des débats dans les Etats membres autour du projet, un nouvel acte uniforme
portant organisation des sûretés a été adopté le 15 décembre 2010 à Lomé. Publié au
JO OHADA n°22 du 15 février 2011, il est entré en vigueur depuis le 16 mai 2011
(conformément à l’article 9 du traité OHADA relativement au délai d’entrée en
vigueur) abrogeant ainsi l’Acte uniforme du 17 avril 1997 signé à Cotonou. Plusieurs
travaux lui sont déjà consacrés. V. entre autres: YONDO (L. B.), «L’enjeu
économique de la réforme de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des
sûretés: un atout pour faciliter l’accès au crédit», Droit & Patrimoine, n° 197, p. 46,
Ohada.com/Ohadata D-10-62; CROCQ (P.), Le nouvel acte uniforme portant
organisation des sûretés, la réforme du droit des sûretés de l’OHADA, Lamy, Paris,
2012; LO BA (A.), «Quelques réf‌lexions sur le nouvelActe uniforme des sûretés: un
vrai «dolly» juridique», Ohada.com/Ohadata D-11-104; LECAT (J.-J.) et MARLY
(P.), Le nouveau droit des sûretés, Ed. Francis Lefebvre, Mémento, juin 2011;
DIARRAH (S. B.), «Les innovations introduites dans l’Acte uniforme portant
organisations des sûretés», Revue de droit uniforme africain, n° 5, 2ème trimestre
2011, Dossier spécial «Révision de l’Acte uniforme OHADA portant organisation
des sûretés»; SAKHO (M.), «Le nouvel Acte uniforme OHADAportant organisation
des sûretés: Propos introductifs autour d’une refonte d’envergure du droit des
sûretés», Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires — Pratique Professionnelle, n° Spéc.
Novembre/Décembre 2011, http://revue.ersuma.org/numero-special-novembre-
decembre/legislation/Le-nouvel-Acte-uniforme-OHADA.
7
AUS, art. 104, al. 3.
JOURNAL OF COMPARATIVE LAW IN AFRICA VOL. 2, NO. 1, 201540
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sion
8
provoquée par la consécration du pacte commissoire là où il est déjà
pratiqué justif‌ie que l’on se décide, pour ce qui est du droit OHADA, à
apprécier la protection que ce mode de réalisation des sûretés assure au
créancier.
Le pacte commissoire est la convention par laquelle le créancier et le
constituant de la sûreté prévoient, qu’à défaut de paiement de la dette
garantie, le créancier deviendra propriétaire de la chose mise en garantie.
9
Plutôt que d’avoir à poursuivre la vente du bien affecté en garantie suivant les
procédures légales de saisie ou d’en demander l’attribution en propriété au
juge, le créancier se fait consentir le droit de s’approprier le bien, à défaut de
paiement. Ainsi déf‌ini, le pacte commissoire se présente comme une
alternative
10
conventionnelle à la réalisation judiciaire des sûretés. On en
déduit le recul du juge et corrélativement le renforcement de la liberté
individuelle en droit des sûretés réelles. Le pacte commissoire se distingue de
la technique de la voie parée qui demeure interdite en droit OHADA.
11
La
8
C’est le cas en France où plusieurs années après sa consécration, «la circonspec-
tion de certains bailleurs de fonds semble toujours de mise à l’égard de ce mode
alternatif de réalisation des sûretés réelles». Il a engendré une méf‌iance que semble
corroborer la quasi-absence de décisions de justice sur le sujet, tant le contraste avec
l’abondance de la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur à la réforme
de 2006 est saisissant: BAZIN-BEUST (D.), «Une analyse du pacte commissoire
[. . .] ou prudence est mère de sûreté chez les f‌inanceurs?», Petites aff‌iches, 2011, n°
99. L’auteurajoute: «L’effet de levier attendu du pacte commissoire sur la relance et le
développement du crédit n’est visiblement pas au rendez-vous plus de cinq ans après
la réforme»; MACORIG-VENIER (F.), «Le pacte commissoire et les sûretés réelles
mobilières», Lamy Droit des Affaires, 2007: En légiférant sur le pacte commissoire,
avatar du pacte avec le diable, en l’autorisant en principe, pour céder aux sirènes de la
modernisation, les auteurs de l’ordonnance ont-ils vraiment atteint l’objectif qu’ils
visaient, introduire souplesse et eff‌icacité dans la réalisation des sûretés? Les doutes les
plus sérieux peuvent être émis, la pratique, consultée préalablement à cette commu-
nication, boudant pour l’heure très largement ces dispositions». YOUEGO (C.), «La
réalisation de l’hypothèque en droit OHADA: Etude de l’AUS à la lumière du droit
français», Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires — Pratique Professionnelle, n° 3
— Septembre 2013, Doctrine, n° 4: «Pour autant, ces nouveaux modes d’attribution
du bien soulèvent de nombreuses interrogations au vu des réserves de la doctrine
relayée par les praticiens au sujet de l’ordonnance française du 23 mars 2006, source
d’inspiration de l’AUS»; CARBONNEL (Ch.), «Le pacte commissoire en matière de
sûretés réelles immobilières ou la réforme inachevée», JCP E 2007, 2536, n° 4.
9
V. GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.) (Dir.), Lexique des termes juridiques,
Dalloz, 21ème éd., Paris, 2014, p. 668; CORNU (G.) (Dir.), Vocabulaire juridique,
Puf, Paris, 2010, p. 651.
10
AYNES(L.), «La réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2006-346 du
23 mars 2006. Présentation générale de la réforme», Rec. D., 2006, p. 1289.
11
CCJA, Arrêt n°009/2012 du 08 Mars 2012: Aff. Abdoulaye Baby Bouya C/
Banque Islamique du Niger Pour L’investissement (BINCI): «Attendu que ces for-
malités prescrites sont celles notamment des articles 247, 253 et 254 du même Acte
Uniforme; que l’examen simultané de ces dispositions rend impossible toute inter-
prétation contraire à leur caractère d’ordre public; qu’en déclarant valable la vente de
gré à gré opérée par la BINCI en vertu de sa convention avec Abdoulaye Baby
Bouya, la Cour d’Appel de Niamey a méconnu les dispositions irréfragables de l’Acte
LE PACTE COMMISSOIRE ET LA PROTECTION DE L’INTERET 41
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