Le mensonge dans le proces penal: Analyse a partir du droit camerounais

Citation(2022) 9(1) Journal of Comparative Law in Africa 130
Date21 April 2022
Published date21 April 2022
DOIhttps://doi.org/10.47348/JCLA/v9/i1a5
Pages130-161
130
https://doi.org/10.47348/JCLA/v9/i1a5
LE MENSONGE DANS LE PROCES PENAL :
ANALYSE A PARTIR DU DROIT CAMEROUNAIS
Tchabo Sontang Hervé Martial*
Résumé
Dans le procès pénal, chacun proclame détenir la vérité et pourtant, le mensonge
y passe, et parfois même, y triomphe allègrement. Le mensonge serait donc une
donnée vivante du procès pénal et on peut observer que, même s’il s’oppose à
l’objectif poursuivi par le procès pénal, il s’articule cependant harmonieusement
avec certains principes essentiels qui le gouvernent et encadrent son déroulement.
Mots-clés : procès pénal; mensonge; vérité; erreur judiciaire; droits de la
défense
Abstract
In criminal proceedings, everyone claims to hold the truth, yet at times untruths
or lies seem blithey to triumph. Untruths are therefore a living aspect of criminal
proceedings and one can observe that, even if they are contrary to the objective
pursued by criminal proceedings, they may yet articulate harmoniously with certain
essential principles which govern and guide their unfolding.
Keywords: criminal proceedings; lie; truth; miscarriage of justice; rights of
defence
Introduction
Le procès pénal est semblable à une pièce de théâtre dont l’intrigue
tourne autour de la recherche et de la proclamation de la justice. On peut
logiquement penser que «la finalité première du procès est la Justice»1.
Pour y parvenir, le procès se focalise essentiellement sur la recherche de la
vérité. Vérité et justice entretiennent en effet un lien fondamental si bien
que, «sans la recherche de la vérité, il n’est pas de justice, et toutes les
valeurs que celle-ci sous-tend, tous les principes sur lesquels elle repose,
s’effondrent»2. Ce lien, qui consolide l’hostilité de l’humanité à l’arbitraire
et à l’impunité3 et l’opposition «aux rapports entre les hommes fondés sur
* Docteur/Ph.D en Droit, Maître-Assistant (CAMES), Département de Droit des Affaires et de
l’Entreprise, FSJP, Université de Dschang, Membre de l’Unité de Recherche en Droit, Institutions et
Intégration Communautaire (URDIIC), Courriel : tchaboherve@gmail.com ou martial.tchabo@
univ-dschang.org Tél.: (237)699559866 ou 679991190.
1 Mekki, M. « Vérité et preuve. Rapport français », in coll. Travaux Henri Capitant La preuve.
Journées internationales 2013 d’Amsterdam, Pays-Bas et Liège, Belgique, vol. LXIII, (2015) Bruylant 814.
2 Char tier, Y. «Avant-propos », in Cour de cassation, Rapport 2004 (Études sur la vérité) La
documentation Française 37.
3 Cf . not. Naftali, P. Le « droit à la vérité à l’épreuve de ses mobilisations en Amérique latine :
entre ressource et contrainte » (2015) 2(75) Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 139 à 165. Cet
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la force»4, est aussi ancien que le droit existe. Il est d’ailleurs scellé, dans le
système du droit civil par « la présomption de vérité [de] la chose jugée :
res judicata pro veritate habetur »5.
Rechercher la vérité, c’est encore chercher à évincer le mensonge.
Vérité et mensonge sont en effet deux termes opposés dans le langage
courant, même s’il est parfois difficile, dans une situation donnée, de
distinguer le vrai du mensonger. Cela tient notamment au fait que, d’une
part, un peu comme le concept de vérité, la notion de mensonge est
caractérisée par une ambiguïté qui fait que «sa définition même est parfois
malaisée»6. D’autre part, il y a le fait que la vérité est essentiellement
une donnée relative7. D’ailleurs, elle ne s’accommoderait pas du singulier.
Paul Ricoeur observe en ce sens que «l’esprit de vérité est de respecter
la complexité » des « ordres de vérité : c’est l’aveu du pluriel »8. Ainsi,
elle «n’a pas nécessairement le même sens selon l’angle sous lequel on
l’envisage»9. À titre d’illustration, un auteur10 a opposé, en droit pénal, la
«vérité à découvrir», qui serait celle des magistrats, et «la vérité judiciaire
à construire», qui serait celle des avocats. Le juge cherche à découvrir
la vérité alors que les avocats, selon la position qu’ils occupent dans le
procès, cherchent, chacun, à construire une vérité, favorable à leurs thèses
et aux intérêts de leurs clients, et à la faire triompher. Cette description
fait dire qu’en matière judiciaire, la vérité est «bicéphale en ce qu’elle est
découverte par le juge mais également construite par les parties»11.
On le perçoit déjà, la vérité judiciaire ne serait qu’une vérité décidée,
arrêtée, sans forcément être une vérité absolue, qui «n’existe pas, pas
plus en droit qu’en science d’ailleurs»12. En général, la vérité issue du
procès est une vérité subjective parce qu’elle consacre simplement, chez
le juge, sa «croyance en la vérité. Elle doit être acceptée ou acceptable
et attribue ainsi une place importante à la question de l’adhésion »13.
auteur traite en effet le «droit à la vérité» comme un droit fondamental, institutionnalisé par l’ONU,
et occupant «une place centrale dans l’agenda international du développement et de la lutte contre l’impunité».
4 Idem.
5 Ibid.
6 Mayaud, Y. «La crédibilité, critère du mensonge punissable en droit pénal», (2008) AJ Pénal,
Dalloz, p 111.
7 Char tier, Y. préc., 37: «le juge, comme le citoyen, sait que la vérité est relative»
8 Ricoeur, P. Histoire et vérité, (1955) Paris pp 155 et 156.
9 Idem.
10 Etchegoyen, A. Vérité ou libertés, la justice expliquée aux adultes, (2001) éd. Fayard 61 et s.
11 Mekki, M. préc., p 813.
12 Sur les incertitudes et les hésitations de la vérité scientifique, v. not. Allais, M. «Autorité de
la science ou autorité en matière de science ? l’immense danger d’une domination oppressive des
pseudo-vérités établies», in Foyer, J. Lebreton, G. et Puigelier, C. (dir) L’autorité, (2008) P.U.F., coll.
Cahiers des sciences morales et politiques 117 et s. Popper, K. R. La connaissance objective (objective
knowledge) (1972) Paris Ed Complexe trad. Rosat, J.J. Flammarion, coll. Champs essais, 1998 : «le
but de la science est l’approximation de la vérité, c’est-à-dire la « vérisimilitude », spéc. § 10 et s.,
115 et s.
13 Levy- Hruhl, H. La preuve judiciaire. Étude de sociologie juridique, (1964) Librairie Marcel
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Elle traduit simplement chez le juge son adhésion à la démonstration
qui lui paraît la plus convaincante, sans qu’elle soit pour autant la plus
conforme à la réalité des faits. La vérité judiciaire est celle qui est acceptable
du point de vue juridique parce qu’obtenue dans le respect des principes
et règles définis par le législateur. C’est plus une vérité procédurale que
substantielle; c’est celle sur laquelle débouche l’application scrupuleuse
des règles de procédure et des principes directeurs du procès. Dès lors, on
peut plutôt dire que «la chose jugée n’est pas la vérité mais une vérité»14.
Cette vérité ne surplombe pas absolument le mensonge dont l’ombre
plane toujours sur le procès pénal. D’ailleurs, quand bien-même les motifs
de la décision seraient basés sur des allégations mensongères, son prononcé
a vocation à les transformer en «vérité » présumée «infalsifiable»15 du
fait de l’autorité de la chose jugée qui lui est attachée. C’est ce qui fait
qu’en principe et sauf cas de dol16, tant le juge qui prononce une décision
fondée sur de telles allégations17 que le Ministère public qui s’y appuie
dans ses réquisitions18, ne peuvent être poursuivis du chef de faux, ce,
dans la mesure où une décision de justice ne saurait, par elle-même, être
constitutive ni d’un crime, ni d’un délit19.
Le mot mensonge, issu du bas latin «mentio de même sens»20 puisque
sans doute lié au verbe latin «mentior» signifiant «ne pas dire la vérité»21, peut
être considéré sous deux angles. Objectivement, le mensonge, synonyme
de fausseté, désigne une affirmation qui est contraire à la réalité. Même
si ce sens ne sera pas totalement ignoré dans la présente étude, il s’avère
cependant qu’il intéresse très peu le droit pénal puisque celui-ci s’attache
généralement à considérer l’attitude psychologique de l’agent. C’est
Rivière et Cie Paris spéc. 22 et s. Cité par Mekki, M. préc., 814.
14 Dintilhac, J. P. «La vérité de la chose jugée», in Cour de cassation, Rapport 2004 (Études sur
la vérité), op. cit. 55.
15 Jeuland, E. Droit processuel général, 3ème éd (2014) LGDJ Lextenso éditions n° 466.
16 Garçon, E. Code pénal annoté, mise à jour par Rousselet, M. Patin M. et Ancel, M. 2ème éd
(1952) Librairie du Recueil Sirey Paris art. 145 à 147, n° 536, n° 555.
17 La Cour de cassation française a eu l’occasion de préciser que «les faits et motifs énoncés dans
une décision de justice ne sont pas susceptibles de constituer des actes de faux en écriture publique
ou authentique». Cass. crim., 9 nov. 2016, n° 15-86.922, F-D : JurisData n° 2016-028717. Cité par
Conte, Ph. «Mensonge dans une décision de justice (2017) n° 02», Revue Droit pénal, Lexisnexis ,
Commentaires Dr. pén. 2017, comm. 17.
18 Dans le cadre de ses fonctions, le ministère public bénéficie d’une immunité pénale parce
qu’il « prend les réquisitions et développe librement les observations qu’il croit convenables au bien
de la justice » (V. Cass. crim., 19 nov. 1981, préc. - Cass. crim., 9 déc. 1981, préc. - Adde Cass. crim.,
23 nov. 1950 : D. 1951, p 23, excluant toute poursuite pour diffamation ou injure). Conte, Ph. préc..
19 V. Cass. crim., 19 nov. 1981, n° 81-94.556 : Bull. crim. n° 308 ; Gaz. Pal. 1981, 1, 245, note J.-P.
D. - Cass. crim., 9 déc. 1981, n° 81.94.848 : Bull. crim. n° 327 ; D. 1983, p 352, note Jeandidier. W.
Cités par Conte, Ph. préc.
20 Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition, v. «Mensonge », https://www.dictionnaire-
academie.fr/article/A9M1708.
21 Colbeaux, M. A. «Mensonge !», Insula, 3 mai 2012, https://insula.univ-lille3.fr/2012/05/
mensonge/.
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